En janvier 2021, les journaux ne citent qu’un quart de chercheuses, pour trois quarts de chercheurs. C’est un vrai problème, non seulement pour la place des femmes, mais aussi pour la science elle-même.
Les femmes de science semblent peu présentes dans les médias. Mais en science, une impression ne suffit pas, il faut mesurer pour comprendre et agir. C’est pourquoi, à l’occasion d’une journée sur la place des femmes scientifiques dans les médias le 29 janvier 2021, co-organisée par l’association des journalistes scientifiques et plusieurs sociétés savantes (chimie, physique, mathématiques, informatique), j’ai souhaité mesurer la diversité hommes-femmes dans la presse écrite.
Sept journaux analysés pendant un mois
J’ai donc analysé les numéros de janvier 2021 des principaux journaux français qui traitent la science. Quatre journaux spécialisés : Science & Vie, Sciences et Avenir, La Recherche et Pour la Science. Et trois quotidiens nationaux : Le Monde, Le Figaro et Libération. Et ce du premier au 26 janvier.
J’ai comptabilisé le nombre de fois où une scientifique était citée, et le nombre de fois où c’était un scientifique. J’ai également compté le nombre de fois où ces chercheurs et chercheuses étaient particulièrement mis en valeur, via une interview, un portrait, ou une recension de leur livre. Enfin, pour achever le tableau, j’ai regardé qui citait qui. Autrement dit, le sexe des journalistes qui citait tel ou telle scientifique.
Seulement un quart de femmes
Je m’attendais bien-sûr à une sur-représentation des scientifiques hommes. Mais pas à ce point-là !
Même si l’on observe de petites différences entre les journaux, aucun n’est exemplaire. La proportion de femmes varie entre 20 et 30 %. Trois scientifiques sur quatre à qui l’on donne la parole sont des hommes. Quant aux journaux qui, comme La Recherche et Pour la Science, publient des articles signés de scientifiques, le constat est encore plus accablant : les hommes représentent entre 68 % et… 87,5 % des auteurs et autrices de ces articles.
En cas de crise, place aux hommes
Du côté des journaux généralistes, les pages estampillées « sciences » semblent s’en sortir légèrement mieux : jusqu’à
35 % de chercheuses mises en valeur dans Le Monde. Mais avec la crise sanitaire, la science a largement débordé des pages dédiées. Il faut donc chercher la parole des scientifiques
également dans les pages générales. Et là, on retombe dans une omniprésence masculine : 22 % de chercheuses citées, 12,5 % seulement mises en valeur. Un phénomène bien connu :
en cas de crise, les hommes reprennent le devant de la scène. « Ça devient sérieux, laissez faire ceux qui savent, autrement dit les hommes » semblent dire les
médias dans ce cas.
Un coup des hommes journalistes ?
Si l’on regarde qui cite qui, c’est encore plus intéressant. J’ai en effet analysé quels journalistes citaient davantage les hommes ou les femmes. Or, à Science & Vie, trois articles signés de journalistes masculins citent 27 chercheurs et zéro chercheuse. Qui se ressemble se cite, semble-t-il. S’agit-il de sujets où les compétences sont essentiellement masculines ? Pas du tout. C’est peut-être le cas de la 5G, mais sûrement pas de l’épidémiologie ou des bactéries. Inversement, les femmes journalistes citent autant en moyenne les chercheurs que les chercheuses, et ce aussi bien à Science & Vie qu’à Sciences et Avenir.
Et bien non
Il suffirait donc d’avoir plus de femmes journalistes pour rééquilibrer la parité médiatique ? Et bien non, puisqu’aucun phénomène de ce type ne s’observe dans les quotidiens nationaux analysés. Dans Le Monde et Libération, ce sont même les hommes journaliste qui citent davantage les chercheuses. La présence de femmes dans la hiérarchie, comme dans La Recherche, Pour la Science ou Sciences et avenir ne semble pas non plus influer la parité dans le traitement de l’information.
Pouvoir de convaincre
Bref, le manque de parité est général et massif en science dans la presse écrite. Est-ce un problème ? Oui. D’abord parce que si les femmes scientifiques sont invisibles, les filles ne se dirigent pas vers les carrières scientifiques. Comment la science peut-elle se priver ainsi de la moitié des talents ? De plus, comme le soulignait Audrey Mikaëlian, vice-présidente de l’association des journalistes scientifiques, en ouverture de la journée Sciences et médias. « Ce n’est pas seulement une question de justice et d’équité, mais de pouvoir. Être visible dans les médias, c’est avoir le pouvoir de convaincre et de faire avancer ses idées. » Pourquoi prive-t-on les femmes de ce pouvoir ?
Cécile Michaut
Pour aller plus loin, n'hésitez pas à regarder le replay de la journée Sciences et médias intitulée "Comment améliorer la représentation des femmes scientifiques dans les médias :