Trop souvent, on pense qu’il suffit de bien expliquer la science pour que les citoyens retrouvent confiance dans les vaccins ou acceptent la réalité du changement climatique. Il n’en est rien : nos ressorts psychologiques sont bien plus complexes.
Si vous aimez vulgariser, vous avez probablement vécu la scène suivante : vous discutez de science avec un ami ou une personne de votre famille, mais vous avez beau expliquer rationnellement, votre interlocuteur ne vous croit pas. Pourtant, vos explications sont claires et argumentées. Pire : plus vous essayez de convaincre en utilisant des faits et des arguments, plus votre interlocuteur s’accroche à ses croyances antérieures.
Retour de flamme
Sans le savoir, vous venez d’être victime de « l’effet retour de flamme », aujourd’hui largement documenté. Ainsi, expliquer que les vaccins contre la rougeole, les oreillons et la rubéole ne causent pas l’autisme ne suffit pas à convaincre les parents de vacciner leurs enfants. Au contraire, les parents ayant reçu diverses explications sont moins enclins à vacciner, comme le montre cette étude de 2014.
Mécanismes psychologiques
Découvrir cet effet est plutôt déstabilisant pour un vulgarisateur ! A quoi ça sert de se décarcasser à expliquer, si c’est contre-productif ? Pourtant, il est indispensable de comprendre les mécanismes psychologiques sous-jacents, pour lutter efficacement contre la pseudoscience et la désinformation.
Manque de connaissance ?
On pense souvent que les scientifiques et le public ne seraient séparés que par un manque de connaissances. Il suffirait donc de combler ce manque pour que les experts et les profanes se rejoignent sur le terrain de la vérité scientifique. Cela s’appelle le « modèle du déficit ». Et c’est faux. Comme l’ont montré par exemple Dan M. Kahan et al. dans Nature Climate Change, il n’existe pas de lien entre les connaissances scientifiques d’une personne et le fait qu’elle admette la réalité du changement climatique.
Valeurs profondes
D’où vient le fait que nous nous cramponnons parfois à des croyances non rationnelles ? Cela arrive lorsque les informations que nous recevons vont à l’encontre de valeurs plus profondes, voire fondamentales pour nous, et à l’encontre des liens avec nos proches. Par exemple, ce qui permet le mieux de prédire si un Américain croit ou non au réchauffement climatique n’est pas son niveau d’études en science, mais son vote. L’immense majorité des Républicains n’admet pas la réalité du réchauffement, alors que c’est l’inverse chez les démocrates ? Pourquoi ? Probablement parce qu’une croyance de base chez les Républicains, c’est que ce qui est bon pour l’économie est bon pour son pays et pour le monde. Or, le réchauffement climatique est directement lié au développement économique, qui a engendré d’énormes émissions de CO2. Quoi, cette économie si sacralisée serait en fait néfaste ? Impossible. C’est donc le changement climatique qui doit être faux.
Ecoute et bienveillance
Face à ce constat décourageant, que faire ? Il n’y a pas de recette miracle, plutôt des erreurs à éviter, par exemple adopter une posture de professeur et des arguments d’autorité, ou attaquer frontalement son interlocuteur. Au contraire, essayer de trouver un terrain d’entente (sans renier ses convictions scientifiques, bien-sûr), écouter les arguments, comprendre d’où lui vient son opinion, sont plus prometteurs. Enfin, il faut parfois renoncer à convaincre certaines personnes déjà ancrées dans leurs certitudes, et s’attacher plutôt à aider les indécis à se faire une opinion davantage basée sur des arguments rationnels.
Cécile Michaut